En tête à têteFadwa alias Thysia : De Paris à Anfgou, le fil du sens
Fadwa El Menzhi avec Voix Nomades à Anfgou

Fadwa alias Thysia : De Paris à Anfgou, le fil du sens

Peut-on tout recommencer à 30 ans passés ? Lâcher un poste de cadre à Paris pour une vie au cœur du Haut Atlas, sans confort, sans filet… mais avec du sens. Fadwa ne cherchait pas à se réinventer. Elle voulait juste randonner. Respirer. Mais c’est parfois dans les détours qu’on trouve son vrai chemin. À Anfgou, elle a fondé une coopérative de femmes, et avec elle, une autre façon d’être au monde. C’est dans ce petit village, berceau du tissage amazigh, qu’elle a redonné du souffle à sa vie, et à celle des femmes qui l’entourent.

Changer de vie : de Paris au Haut Atlas marocain

Fadwa a grandi à Errachidia, au Maroc. Puis elle est partie étudier à Rabat, à Paris. Diplômée en finance de la Sorbonne, elle s’est spécialisée dans les énergies renouvelables. Pendant quatre ans, elle a mené une carrière brillante dans le secteur, entre bilans carbone et portefeuilles d’investissement.

Mais un jour, l’écran devient trop étroit.

Je ne suis pas faite pour ça. Je suis plus douée à faire autre chose que des tableaux Excel. 

Ce n’est pas une fuite. C’est une pause. Sans plan. Elle retourne au Maroc, sac au dos, l’envie de marcher, de voir son pays autrement.

Son premier arrêt : Anfgou. Un village si reculé qu’il faut trois heures de piste pour y accéder. Un lieu sans auberge, sans réseau, mais pas sans liens. Elle venait pour une randonnée. Trois ans plus tard, elle y vit toujours.

Anfgou : se reconnecter à l’essentiel pour se réinventer

Dès les premières heures à Anfgou, Fadwa expérimente une fracture immense. On l’observe comme une étrangère – brushing, miroir grossissant, écran solaire. On la regarde s’épiler les sourcils avec autant d’étonnement qu’elle regarde les femmes du village faire cuire le pain dans des fours de terre.

Mais très vite, un autre type de lien se tisse.

 Ce que j’aimais dans la randonnée, c’était les échanges humains. On ne me demandait jamais mon diplôme, ni où je bossais. Juste : tu veux un thé ? » Ce monde-là ne la juge pas selon ce qu’elle a. Il la regarde pour ce qu’elle est.

Et ce monde-là, elle choisit d’y plonger. Pas pour aider. Pas pour sauver. Mais pour faire avec. Elle écoute, elle apprend.

 Les femmes m’ont dit : on ne veut plus de denrées alimentaires ou de vêtements des associations. On veut quelqu’un ici. Avec nous. 

Alors elle revient. Et elle fonde Thysia.

Thysia : une coopérative féminine au Maroc

Le nom est grec. Il signifie « le sacrifice par amour ». Mais à Anfgou, Thysia est bien plus qu’un mot. C’est une coopérative de tissage amazigh, certes. Mais surtout un espace d’émancipation.

Les femmes y trouvent un endroit pour créer, apprendre à fixer un prix, comprendre les coûts, parler de leurs désirs, de leurs refus, de leur avenir.

Thysia, c’est d’abord un lieu de confiance. 

Et cela ne va pas de soi. Fadwa se heurte d’abord aux réticences des familles, à la méfiance face à l’administratif, à la peur de l’inconnu. Mais un homme, puis deux, puis une famille, puis le village soutiennent. Et un à un, les verrous sautent.

Le tissage amazigh : un artisanat marocain porteur de mémoire

Dans la coopérative, les femmes ne font pas que tisser. Elles tissaient d’ailleurs bien avant que la coopérative n’existe. Mais elles perpétuent un héritage.
Le tissage amazigh est un langage ancien. Un alphabet sans lettres. Une mémoire transmise par les mains.

Chaque motif, chaque couleur raconte une histoire : celle de la vie, de la maternité, de la protection, ou encore de la spiritualité.

Qu’est-ce que le tissage amazigh ?

Le tissage amazigh est un artisanat ancestral pratiqué par les femmes amazighes du Maroc. Chaque tapis, noué à la main à partir de laine locale et teinté naturellement, est porteur d’une symbolique forte. Les motifs géométriques ne sont jamais purement décoratifs : ils transmettent des récits, protègent les foyers, et incarnent une mémoire collective transmise de génération en génération.

Les tapis, faits de laine locale et de pigments naturels, servaient autrefois à protéger les maisons, célébrer un mariage ou accompagner un deuil. Aujourd’hui encore, ils sont des récits vivants, des actes de transmission silencieuse.

Tisser un autre modèle de société

À Anfgou, la solidarité n’est pas un concept abstrait. C’est une réalité quotidienne, ancrée dans les gestes et les rythmes de la vie collective.
Les femmes se relaient pour garder le bétail. Les décisions se prennent au sein de l’Ijmaʿan, un mot fort qui désigne à la fois la communauté dans son ensemble, et le conseil coutumier qui en incarne la sagesse collective.

Ce conseil, composé d’hommes du village désignés chaque année, prend des décisions au nom du groupe, selon un principe de concertation et de responsabilité partagée. Ici, il n’y a ni police, ni amendes, ni exclusions. Les conflits se règlent souvent par des gestes de réparation symbolique : offrir un repas au village, accueillir, partager.

Fadwa découvre la démocratie substantive : un système où la légitimité repose moins sur la forme que sur l’engagement réel des individus. Où chacun participe, où la confiance se construit par l’expérience, non par les institutions.

À des années-lumière de l’individualisme des grandes villes, elle trouve ici de la cohérence, de l’utilité, de la reliance.
Un autre modèle. Ni figé, ni idéalisé. Mais profondément humain.

Une réinvention radicale et douce à la fois

Ce qu’elle vit n’a rien d’un conte de fées. Elle parle d’injustice, de fatigue, de doutes.
Mais aussi de joie. De sororité. De puissance collective.
« Je sais qu’ici, je ne mourrai jamais seule. Et ça, c’est un luxe. »
Fadwa n’a pas fui le monde. Elle s’est réapproprié un autre récit.
Un récit où changer de vie ne signifie pas se couper du monde, mais s’y reconnecter autrement.

Vivre à Anfgou, c’est apprendre à faire partie d’un tout, plutôt que de vouloir tout maîtriser.
C’est un ancrage dans le réel, où l’on tisse des liens aussi solides que les tapis qu’on fabrique.

Et dans ce fil tendu entre deux mondes — celui qu’elle a quitté et celui qu’elle construit —
Fadwa trace une voie qui lui ressemble. Une voie qui nous inspire aussi.

Soutenir le tissage amazigh avec la coopérative Thysia

Chaque tapis tissé à Anfgou est porteur d’une histoire, d’un savoir-faire, d’une intention.
En achetant un tapis chez Thysia, vous soutenez directement les femmes du village, leur autonomie, leur art et leur ancrage.

📦 Livraison possible au Maroc et en France
📲 Contactez Fadwa sur Instagram : @thysia_cooperative

L’audio qui retrace l’intégralité de notre rencontre avec Fadwa El Menzhi est disponible en exclusivité juste ici : 

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Tu peux retrouver d’autres portraits de vies réinventées dans notre série En tête-à-tête.
Des voix qui ont quitté les chemins tout tracés pour en ouvrir d’autres, à leur manière. Et si tu portes en toi un projet qui semble trop fou ou trop lointain… ne l’étouffe pas. Les détours mènent parfois exactement là où il faut.