Au Banff Mountain Film and Book Festival, l’un des rendez-vous les plus influents au monde sur la culture montagne, le symposium Fire & Ice – Adventure posait une question essentielle : et si l’aventure pouvait nous aider à mieux raconter le changement climatique ?
Sur scène, trois voix :
– Aldo Kane, explorateur et spécialiste des environnements extrêmes.
– Caroline Côté, réalisatrice et athlète d’expédition.
– Dr. Andreas Linsbauer, glaciologue.
Modération : Rebecca Martin.

Trois parcours, trois continents, mais un même constat : celles et ceux qui vont là où le monde change le plus vite portent une responsabilité nouvelle. Les aventurier.e.s deviennent les yeux d’un monde qui bascule.
« 99 % des glaciers sont en recul. » — Dr. Andreas Linsbauer
C’est depuis les marges : sommets, calottes polaires, fjords reculés, que s’accumulent aujourd’hui les indices les plus tangibles du dérèglement. L’enjeu n’est plus seulement de documenter : c’est d’apprendre à transmettre.
Raconter le changement climatique depuis le terrain
Pour Dr. Andreas Linsbauer, la fonte glaciaire n’a plus rien d’un scénario abstrait : elle est visible, mesurable, irréversible dans la plupart des massifs.
En Suisse : aucun glacier n’avance.
En Alaska : des pans entiers du relief disparaissent.
Tandis qu’en Patagonie ou en Nouvelle-Zélande, certains glaciers progressent. Non pas par signe d’une “bonne santé”, mais conséquence directe d’une nouvelle humidité atmosphérique… elle-même provoquée par le changement climatique.
Dr. Andreas Linsbauer cherche alors comment faire ressentir ce que les chiffres peinent parfois à dire.
La VR, les images scientifiques, la reconstitution numérique : autant de tentatives pour rapprocher le grand public de ces lieux qu’il ne verra jamais.
Alors vient le role des aventurier.e.s.
“Comment raconter ce qu’on ne peut plus voir ?” – Caroline Côté
Elle traverse les glaces, filme les fractures, ramène des images là où la parole ne suffit plus.
Son rôle : rendre visible l’invisible. Ramener un glacier au Québec. Rendre intime ce qui semble lointain.

Une réflexion qui fait écho à celle du symposium consacré à la glace, où la disparition des glaciers révélait la dimension sensible et émotionnelle du changement climatique. Nous en parlions ici : notre article “Glaciers, art et émotions face au changement climatique”.
Le rôle de la narration
Raconter un monde qui brûle, qui fond, qui se délite… sans plonger l’audience dans le désespoir : voilà l’un des défis majeurs du récit climatique contemporain.
“Filmmaking is all about the fine line between telling the absolute real story and giving people hope.” – Aldo Kane
Sur scène, les intervenant.e.s le disent tous : l’effondrement émotionnel ne mène nulle part. Le sensationnalisme encore moins. Raconter le changement climatique, c’est naviguer entre lucidité et espace pour respirer.
C’est dire la vérité sans anesthésier. La clé ? L’incarnation. Le vécu. Le sensible.
Lorsqu’une personne raconte ce qu’elle a vu fondre, brûler ou disparaître devant ses yeux, l’impact n’est plus théorique. Il devient humain. Et donc partageable.
Raconter le changement climatique par l’intime : “Embers”
La réalisatrice Trixie Pacis et l’artiste et productrice Sasha Galitzki dévoilent Embers, un film né des cendres réelles de la maison de Sasha, détruite lors du feu de Jasper en 2024.

Sasha n’a pas seulement raconté le changement climatique : elle l’a vécu. Dans son deuil, dans sa perte, dans l’incertitude.
“I realized the depth of my grief was proportional to the depth of my love.” – Sasha Galitzki
Au cœur d’Embers, une question impossible : comment transformer une catastrophe en un acte de création ? Sasha danse littéralement au-dessus des cendres de son foyer. Elle met en scène ce qu’elle n’arrivait plus à dire.
Parce que parfois, l’art est la seule langue qui reste : “Art is a way to express things you don’t have words for.” Trixie et Sasha rappellent une évidence souvent oubliée :
on ne raconte pas seulement le climat, on raconte des vies.
Un nouveau rôle pour celles et ceux qui marchent, filment, racontent
Dans un monde où les courbes montent, où les glaciers disparaissent et où les étés deviennent des saisons d’incendies, un nouveau rôle émerge :
celui de passeur.euse.s du réel.
Les aventurier.e.s, cinéastes, scientifiques et artistes présent.e.s à Banff nous rappellent que le climat ne se raconte pas qu’en chiffres, mais en rencontres, en paysages, en émotions, en gestes.
Ils nous montrent une voie :
— observer avec précision,
— raconter avec soin,
— transmettre avec humanité.
Parce que si le changement climatique est une crise, c’est aussi une histoire. Et cette histoire, nous devons apprendre à la raconter autrement pour faire bouger les lignes.









