Chaque automne, le Banff Mountain Film and Book Festival réunit athlètes, artistes et scientifiques venu.e.s du monde entier. Lors du dernier symposium Fire & Ice – Living Through Change, le témoignage de Jon Waterman, écrivain et photographe qui arpente l’Arctique depuis plus de 40 ans.
Trente ans après ses premiers voyages, il est retourné sur ces terres. Et ce qu’il a retrouvé n’avait plus grand-chose à voir avec ce qu’il avait laissé.
“The Arctic is warming nearly four times faster than the rest of the world.” – Jon Waterman
Un témoin du changement climatique
Là où la mer était autrefois tenue par la shorefast ice (la glace côtière), il a trouvé une côte nue, rongée par les vagues. Là où les rivières s’étiraient, il a dû composer avec des crues violentes qui ont balayé ses anciens campements. Enfin, là où le permafrost semblait éternel, il a découvert des parois effondrées, ouvertes comme des blessures révélant une terre vieille de centaines de milliers d’années.

Il le raconte sans détour : “I wasn’t there to witness climate change. But climate change found me.” Et dans cette phrase, toute l’ampleur du bouleversement apparaît.
Peuples Inuit, Inupiat et Yupik : vivre à travers le changement climatique
Ce symposium avait un fil conducteur : vivre à travers le changement climatique.
Pour les Inuit du Nunavut, les Inupiat d’Alaska ou les Yupik de l’Ouest, le changement climatique n’est pas un horizon lointain : c’est une maison qui s’effondre, la mer qui monte, et la glace qui disparait.
Le Nord n’est pas un décor, c’est un territoire habité depuis des millénaires, où chaque mot d’Inupiaq décrit un relief, une lumière, un type de glace. Perdre la glace, c’est parfois perdre le mot. Et perdre le mot, c’est perdre la carte.
“Their language precisely identifies the landscape… losing it means losing the map.” – Jon Waterman
Dans les villages arctiques, les conséquences sont visibles partout :
- routes et maisons qui s’affaissent, emportées par la fonte du permafrost
- villages menacés de devoir être déplacés, comme Kivalin
- nouveaux animaux (renards roux, orignaux, castors) qui modifient l’équilibre écologique
- espèces ancestrales en déclin, dont certains caribous autrefois présents par milliers
- salinité des eaux modifiée par la fonte, menaçant poissons et mammifères marins
- érosion côtière qui avale des pans de territoire
Et pourtant, malgré la violence du bouleversement, lorsqu’il est invité à partager le muktuk autour d’une chasse au béluga, les anciens lui rappellent quelque chose d’essentiel :
“We share the same souls as the animals we subsist upon.”
Voir l’Arctique, c’est voir notre avenir
Si cette histoire nous touche, c’est parce que l’Arctique a 30 ans d’avance sur ce que le reste du monde vit. Ce que Jon Waterman a observé concerne les Rocheuses, les Alpes, l’Himalaya, les Andes et toutes les parties du monde :
- rivières imprévisibles
- feux qui montent en latitude
- forêts qui basculent (drunken forests)
- sols qui glissent
- biodiversité qui se réorganise
- villages qui doivent repenser leur manière d’habiter le territoire
Dans ses carnets, Waterman décrit l’expérience la plus intime de son expédition : une solitude étendue, silencieuse, presque sauvage, où la frontière entre l’humain et le vivant devient poreuse.
“By being alone, shut off from the world, you can come to a new understanding.” – Jon Waterman


Ce qu’il raconte, ce n’est pas un effondrement romantisé : c’est une transition brutale, vécue au quotidien par celles et ceux qui n’ont pas le luxe de la regarder de loin. L’Arctique est une page d’avance dans le livre climatique.
Un espoir pragmatique : agir, pas mythifier
Lorsqu’on lui demande ce qui lui donne encore de l’espoir, Jon Waterman répond :
l’économie. Il montre un graphique simple : depuis plusieurs années, les investissements mondiaux en énergies renouvelables ont dépassé ceux des énergies fossiles.
Ce n’est pas de l’optimisme naïf. C’est un indicateur réel d’un mouvement en cours.
Et ça résume bien le ton du symposium : pas d’espoir creux, mais une lucidité active.
Une lucidité qui observe les transformations, écoute les peuples du Nord, et documente encore et encore, pour transmettre et agir avant qu’il ne soit trop tard.









