
Tourisme de masse : quand le rêve des uns devient la perte des autres
Le tourisme de masse transforme les lieux qu’il célèbre. À Imsouane, petit village côtier marocain en partie détruit en 2024, il illustre ce paradoxe : quand le rêve d’évasion devient un facteur d’effacement. Derrière les cartes postales et les photos de voyage, cet article propose une réflexion sur les conséquences invisibles de notre soif de découverte. Peut-on encore voyager sans détruire ce qu’on est venu chercher ?
Derrière les cartes postales, des fractures invisibles
Imsouane. Ce nom seul suffit à évoquer des images de vagues parfaites, de couchers de soleil sur l’Atlantique, d’un Maroc authentique qui fait rêver. Pour Mehdi, c’était un refuge. Pour moi, une découverte. Mais derrière les cartes postales, il y a parfois des fractures.
En janvier 2024, une partie du vieux village troglodyte, perchée sur la falaise côté « cathédrale », a été détruite. Moins de 48 heures de préavis. La justification officielle : une occupation illégale du domaine maritime. Mais la réalité est bien plus complexe. Elle touche au droit coutumier, à la spéculation foncière, à l’absence de titres, et à une pression touristique qui, sans tenir la pelleteuse, l’alimente peut-être silencieusement.
Et Imsouane n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Le tourisme de masse : une croissance sans limite ?
Depuis les années 1950, le nombre de touristes internationaux a été multiplié par plus de 50. Les vols low cost, les plateformes de location courte durée et les réseaux sociaux ont profondément transformé notre manière de voyager. Pour le meilleur, et pour le pire.
À Barcelone, des pancartes demandent aux touristes de « rentrer chez eux ». À Bali, les temples sont noyés sous les selfies. À Venise, la population locale fond tandis que les bateaux de croisière grossissent. Même des lieux isolés comme l’Islande voient leur équilibre fragile mis à mal.
C’est cela, le surtourisme : quand la fréquentation dépasse la capacité d’accueil écologique, sociale ou culturelle d’un lieu.
Quand le tourisme efface ce qu’il est venu chercher
Le paradoxe du tourisme de masse, c’est qu’il finit souvent par transformer, voire détruire, ce qui faisait l’attrait initial d’un lieu.
À Imsouane comme ailleurs, la montée du tourisme s’est accompagnée :
- de l’explosion d’Airbnb, qui raréfie les logements pour les habitants ;
- de la multiplication des surf camps et infrastructures destinées aux visiteurs ;
- de la spéculation sur les terrains en bord de mer ;
- de tensions croissantes entre besoins locaux et intérêts touristiques.
Qui est responsable du tourisme de masse ?
Ce n’est pas si simple.
Le tourisme de masse n’est pas toujours le fruit d’une mauvaise intention.
Il est souvent le résultat d’un enchevêtrement de responsabilités :
- Des États qui valorisent leur littoral sans protéger les habitants historiques.
- Des investisseurs qui spéculent sur les zones « à fort potentiel ».
- Des plateformes qui facilitent la location courte durée sans régulation.
- Et nous, les voyageurs, qui partageons un lieu sans toujours le comprendre.
Et nous, dans tout ça ?
Nous aussi, on est venu.e.s. À Imsouane, on a surfé, on a filmé, on a admiré. On a partagé des images. On a contribué à nourrir l’attrait de ce lieu. Et dans un sens, tant mieux.
Mais on en a bien conscience : nous faisons aussi partie du problème.
Peut-être même que, malgré nous, nous l’alimentons. C’est inconfortable à reconnaître. Mais nécessaire.
Et pourtant, tout n’est pas noir ou blanc. Le tourisme peut aussi être porteur de liens, de récits partagés, de valorisation culturelle et de revenus essentiels pour des communautés entières. Il peut permettre à des lieux de se faire connaître, à des artisan·es de vivre de leur savoir-faire, à des voyageurs de sortir de leur bulle et de questionner leur monde.
On en parle dans cet article : Le slow travel : choisir la lenteur dans un monde qui s’accélère.
C’est un équilibre fragile. Un paradoxe parfois dérangeant.
Mais c’est justement pour cela qu’il mérite d’être regardé en face.
Poser les questions, sans prétendre avoir les réponses
On ne prétend pas savoir ce qu’il faut faire. Mais on pense que certaines questions méritent d’être posées, encore et encore, même si elles n’ont pas de réponses simples.
➤ Comment voyager sans effacer ?
➤ Peut-on partager un lieu sans contribuer à son uniformisation ?
➤ À quel moment le rêve d’évasion devient-il une invasion ?
Ces questions, on ne les pose pas qu’aux autres. On se les pose surtout à nous-mêmes, en tant que voyageurs, en tant qu’êtres humains curieux d’ailleurs.
Et si l’on commence à se les poser collectivement, peut-être qu’on peut, pas à pas, redonner du sens à nos déplacements, du respect à nos destinations, et de la profondeur à nos rencontres.
Alors, la prochaine fois qu’on tombera amoureux.se d’un endroit,
peut-être qu’on pourra se poser cette simple question :
À qui appartient ce paradis ?
Et surtout, que sommes-nous prêt.e.s à faire pour qu’il reste vivant — pour tous.tes.